Partie 3 : webedia, le déclin d’un empire

Les youtubeurs ont développé un écosystème d’entreprises sur-mesure pour leurs contenus de plus en plus produits, au point que le site est devenu le hub d’une industrie à part entière, qui embauche désormais des dizaines de petites mains derrière chaque vidéo.

Toutes les entreprises de production créées ces dernières années par des youtubeurs tirent leur inspiration d’un géant de l’industrie : Webedia. Spécialisée dans les médias en ligne, la filiale de Fimalac génère 133 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2022. En 2015, Webedia rachète le réseau de chaîne youtube Mixicom pour 75 millions d’euros. A cette époque, il réunit notamment les chaînes de Cyprien Iov, plus grand youtubeur français avec près de 8 millions d’abonnés, Norman Thavaud et Lucas Hauchard. Une fusion-acquisition qui rendra ces derniers millionnaires. Autour de cette base, Webedia recrute d’autres créateurs et construit son “Royaume du web”. En quelques années, la société s’impose comme la maison mère de Youtube. En échange de leur fournir studios, moyens de production et gestion d’image, Webedia prend une commission sur leurs revenus. Pendant quatre ans, Webedia domine le milieu en incontournable régie de la création.

Les années passant, les youtubeurs sont davantage en recherche de liberté éditoriale. Webedia perd de sa superbe, et voit ses grosses têtes déserter ses locaux de Levallois-Perret. Squeezie, Wankil Studio, puis fin 2022, le chouchou des plus jeunes et star montante Michou. Avant son départ, ce dernier dévoilait le rapport financier qui le liait à l’entreprise : “Aujourd’hui, je me dis que le pourcentage est peut-être un peu gros, parce que je n’ai pas les mêmes contrats qu’il y a deux ans. […] Il y a certains contrats où ils prennent beaucoup et ça me fait un peu mal au cul”, déclarait-il dans une interview donnée fin 2022 à son collègue Absol. Pourtant, il aurait été prévenu par ses semblables déjà dans les rouages du système. “Quand Michou me demandait s’il devait signer chez eux, je lui expliquais que c’était le bordel là-bas, qu’ils ne respectaient pas grand-chose et qu’ils étaient là avant tout pour l’argent”, atteste un youtubeur de Webedia qui veut garder son identité secrète dans un article de nos confrères de Konbini.

Webedia, un géant en perte de créateurs

Plus de transparence

Pour lui aussi la désillusion était grande, en découvrant le management de ce haut lieu autrefois considéré comme un tremplin : “Je me suis rendu compte que c’est moi qui apporte la plupart de mes partenariats, mais qu’ils me prennent quand même 50 % dessus. Et désormais, ils ne prennent plus en charge mes frais de production. Ils n’en ont rien à carrer, de nous.” Webedia est vu aujourd’hui comme une “pompe à fric” qui exploite l’image de ces youtubeurs comme des “hommes sandwichs », dixit Lucas Hauchard dans son documentaire. C’était déjà lui qui s’était insurgé contre ces méthodes, pointant du doigt des projets tenus “par des gens qui n’y connaissent rien, qui ont juste envie de faire des thunes […]. À la base, ils vendaient des pubs dans les magazines. Ils ont une vision de notre milieu qui est très, très business, trop business, expliquait Squeezie début 2021 dans l’émission Clique sur Canal+. Et puis j’ai vu des créateurs commencer à créer leurs petites agences. Et je me suis dit : ‘Ils ont tout compris, je vais faire ma propre agence’”. Les passagers abandonnant le gros navire qui coule ont construit leurs propres radeaux, eux même devenus des embarcations monumentales. Le Youtube Game est devenu une industrie d’auto-entrepreneurs.

Mais en dépit de cette évolution vers un Youtube français industrialisé, on constate partiellement une envie de certains de se rattacher à des formats à taille humaine. C’est le cas de Mcfly et Carlito, absents pendant l’été 2023 en justifiant justement un burn-out vis-à-vis de cette exigence pour les superproductions. En septembre dernier, ils reviennent face caméra, dans des contenus plus courts, plus simples, qui nécessitent moins de moyens. Ce “nouvel arc”, comme ils tiennent à le nommer, marque une sorte de retour aux sources pour réduire la voilure (en tout cas en apparence, Unfold étant toujours crédité et plusieurs de ses employés apparaissant régulièrement à l’écran pour plus de transparence). Reste à savoir si cet élan pour revenir à l’essentiel n’est qu’un cas isolé, ou si d’autres vont eux aussi reconsidérer le fond et la forme de leurs vidéos en ce sens.

À lire aussi :