Partie 1 : du petit divertissement à la grosse machine

Les youtubeurs ont développé un écosystème d’entreprises sur-mesure pour leurs contenus de plus en plus produits, au point que le site est devenu le hub d’une industrie à part entière, qui embauche désormais des dizaines de petites mains derrière chaque vidéo.

Après quatre mois de pause, le premier youtubeur francophone aux presque 19 millions d’abonnés est revenu sur la plateforme en grande pompe samedi dernier. Squeezie – Lucas Hauchard de son vrai nom – invite à l’occasion un autre créateur, Mister V, et face à eux, les humoristes Éric et Ramzy, pour la troisième édition de son format à succès “Il y a quoi derrière la porte ?”. Le concept : chaque duo propose à tour de rôle deux scénarios à l’autre, qui doit deviner lequel est véritablement installé dans une seconde partie du décor. Une heure de vidéo, pendant laquelle les quatre stars du petit et très petit écran découvrent des mises en scène toujours plus alambiquées mais abouties : un salon de coiffure réaliste, l’inauguration des statues de cire du binôme de comiques qui seront – vraiment – exposées au musée Grévin, un bar de “beauf” avec en guest Patrick Sébastien, un jeu de plateau télévisé aux dimensions d’une attraction de fête foraine, puis la reproduction de la tournée de promotion du film Les Dalton, où les deux acteurs sont accueillis par Élise Lucet en personne sur le plateau du 13h de France 2 version années 2000. Chaque scène a son public de figurants, et tous ces décors sont montés puis démontés en quelques minutes, comme le suggère le rythme de la vidéo. Résultat : 10 millions de vues en 7 jours pour un come-back réussi. 

Plus tard dans la semaine, dans un post sur ses réseaux sociaux, l’ancienne présentatrice du JT dévoile les coulisses de son passage. De la lecture d’un script à la découverte de la régie en passant par le maquillage en loges, “ça ne s’arrête pas !”, s’étonne la journaliste. Dans la même soirée en live sur Twitch, un internaute interpelle le créateur sur l’organisation de toutes ces séquences. “Avec Théo [Bonnet, son réalisateur, NDLR], on s’est vraiment donnés sur celle-là. C’était énormément de travail cette vidéo, on a encore franchi un cap dans la prod […]. On voulait faire une vidéo de retour digne de ce nom, et on sentait qu’on n’avait pas dit notre dernier mot avec ce format. Là on l’a peut-être dit”, répond le youtubeur.

Besoin croissant d’entertainment

Loin de là l’époque naissante du “Youtube Game” et des “podcasts” (des sketchs à thématique face caméra), insufflée par des Norman ou des Cyprien, qui se filmaient avec une petite caméra fish eye, dans leurs chambres. Quand les petits moyens suffisent au début des années 2010 à réunir “seulement” des centaines de milliers de “viewers”, ce sont aujourd’hui les grosses productions qui en séduisent plusieurs dizaines de millions. Voyant l’engouement autour de cette activité en plein boom devenue aujourd’hui un métier à part entière, les youtubeurs commencent à collaborer entre eux, dans leurs studios et ailleurs. C’est l’ère du “Feat and Fun” qui naît. 

À force de consommer des programmes avec de plus en plus de rebondissements et de stars, parfois en situations extrêmes, le public développe des exigences. Pour satisfaire ce besoin croissant d’entertainment, la petite machine des youtubeurs se transforme crescendo en usine bien huilée, capable d’alimenter la plateforme avec des contenus toujours plus gros, toujours plus grands, et presque aussi régulièrement. La durée moyenne des vidéos est allongée (les anciens formats de 7 minutes sont désormais considérés comme courts, la norme est aujourd’hui d’environ 35 minutes), le montage des contenus est toujours plus “catchy” et spectaculaire pour plus de sensations, et le conducteur de chaque concept est écrit pour que l’attention du spectateur – le “watchtime” dans le jargon – soit retenue jusqu’à la fin. 

“J’avais l’impression de tourner à Hollywood”

La série biographique de Squeezie “Merci Internet” revient justement sur cette (r)évolution dans la façon de faire sur Youtube. Un documentaire dont l’avant première se déroulait au Grand Rex en janvier dernier. Pour Laurent Rumayor, agent de la star, l’élément déclencheur remonte à 2017, lors du tournage de “Overwatch rap battle” qui met en scène les plus grosses têtes du moment dans un univers fantastique aux côtés de Squeezie. “Les vidéos scénarisées ont démontré qu’on pouvait faire aussi bien que des productions audiovisuelles bien installées”, explique-t-il fièrement. Un avis partagé par Natoo, qui figure dans le clip : “c’est la première fois que je voyais autant de moyen pour une vidéo, j’avais l’impression de tourner à Hollywood”. Aujourd’hui, c’est encore le plus grand succès de la chaîne, avec presque 70 millions de vues.

 

Petit à petit, l’oiseau fait son nid, alors il faudra tout de même attendre encore des années pour que les choses deviennent sérieuses. “Tout ça s’est vraiment amorcé à l’après Covid, quand on a commencé à créer des plus grosses vidéos comme “Cache-Cache IRL” [In Real Life, NDLR]. Et ça s’est intensifié à partir d’un de nos plus gros projets, “Où est Charlie”, en 2022 […]. Franchement, avoir fait ça à La Défense Arena, et deux fois, ça annonçait vraiment que la chaîne prenait un tournant et des proportions démentes” confie à la sortie de la salle de spectacle une attachée de production qui collabore avec Lucas Hauchard depuis cinq ans, et qui souhaite rester anonyme.

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