À quelques jours de l’élection présidentielle américaine, Régine Perron, maîtresse de conférences en Histoire contemporaine et spécialiste des relations internationales, revient sur les principaux enjeux du mandat.
Républicains et démocrates s’accordaient déjà, en 2016, à déclarer que l’élection présidentielle américaine était décisive pour la survie de la nation. Le premier camp affirmait qu’un changement majeur dans le fonctionnement de la démocratie pouvait avoir lieu, tandis que l’autre groupe martelait la perte de prestige de la première puissance mondiale à l’échelle internationale. Déjà entre Donald Trump et Hillary Clinton, les insultes allaient bon train ; là encore entre Donald Trump et Joe Biden, en 2020, les humiliations réciproques font l’objet de slogans de campagne.
Outre ces confrontations, les deux candidats ont aussi un projet pour leur pays. Le président Trump vise notamment à redynamiser son économie par la création d’emplois dans le domaine industriel ou dans le secteur de l’énergie. Biden, lui, ancien vice-président de Barack Obama, compte soutenir les ménages les plus en difficultés pour ne laisser personne de côté.
En quatre années, les États-Unis accusent désormais le coup d’une quintuple crise : à la fois sanitaire, économique, mais aussi sociale, raciale et morale. The Slow Media revient avec Régine Perron, maîtresse de conférences HDR (Habilitée à diriger des recherches) en Histoire contemporaine et spécialiste des relations internationales et de la construction européenne, sur les principaux enjeux du prochain mandat.
Médias, élections… Les atteintes à la démocratie
« Fake news » est certainement le mot préféré du président américain. Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, les médias ont en été les premières victimes. Selon Régine Perron, c’est la liberté d’expression qui est ici remise en cause, le 1er amendement de la constitution. « C’est très grave de s’en prendre à la presse, à la liberté d’expression. C’était quelque chose d’intouchable. C’est le fondement de la démocratie américaine », précise-t-elle.
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« Trump peut inciter ses partisans à s’insurger »
Régine Perron
La démocratie est aussi attaquée par Donald Trump sur un autre front : celui des élections. Alors que de premiers résultats seront dévoilés ce mardi 3 novembre 2020, le président américain a plusieurs fois sous-entendu qu’il ne reconnaîtrait pas sa défaite. « Trump a eu une phrase qui m’a beaucoup choquée : ‘Tenez-vous prêt’. Il s’adressait aux Proud Boys [« les Garçons fiers » en Français, sont un groupe d’extrême droite pro-Trump et pro-violence, NDLR]. C’est une menace voilée pour ceux qui ne voteraient pas pour lui. La démocratie est en danger. »
Vers une guerre civile après la publication des résultats ? « Trump ne va pas demander directement à ses soutiens de s’insurger, mais il peut inciter ses partisans », prévient Régine Perron. Parmi eux, on retrouve les membres de la White trash – cette « Racaille blanche » en Français, composée de blancs pauvres et ruraux pro-Trump – qui ont des revenus inférieurs à ceux des Afro-Américains. La classe moyenne blanche fait également partie des fidèles. « Elle a été choquée par le vote d’Obama. J’en ai discuté avec les Américains et ils s’identifient à Trump car il leur redonne de l’estime », complète la spécialiste des États-Unis. Aussi, la mouvance QAnon, née sur les réseaux sociaux et qui voit dans les déclarations du président un appel à se « réveiller ».
Quelles relations internationales ?
L’État américain s’illustre aussi grâce à sa puissance militaire. Présentes sur des bases en Allemagne et au Moyen-Orient notamment, le retrait des troupes intensifierait les instabilités régionales : « Les Américains ont tenté de mettre en place un État-nation en Irak avec des règles, une constitution, un parlement… Mais ce qui a rendu amer cette partie du Moyen-Orient est que l’armée est arrivée, mais maintenant elle s’en va. Il est délicat de partir en laissant le chaos derrière soit, analyse Régine Perron. Mais Trump est assez ambigu. Il veut se retirer des affaires du monde, mais il se sert de la puissance américaine pour les régler, comme avec la Corée du Nord par exemple. »
« L’Union européenne devra se recentrer sur sa propre défense »
Régine Perron
De fait, l’historienne considère que si les États-Unis venaient à se retirer des théâtres de guerre, l’Union européenne devrait « se recentrer sur sa propre défense ». « Une armée européenne fait partie des règles démocratiques. Tout pays a son armée en cas d’attaque, surtout dans le contexte actuel », défend-elle. Il suffirait de dupliquer le système en place à l’Otan et de l’appliquer au niveau européen, d’après Régine Perron.
Joe Biden, de son côté, veut faire rayonner les États-Unis en concurrençant la Chine dans les secteurs de l’innovation (Intelligence artificielle, énergie…) avec une enveloppe de 300 milliards de dollars. « Les États-Unis se distinguaient dans la production à haute valeur ajoutée, et là elle a pris du retard. La place du pays est importante en tant que puissance mondiale, malgré le contexte. En particulier par rapport à la Chine », ajoute la spécialiste des relations internationales.
Les 12 travaux de Trump ou de Biden sur la politique intérieure
Bien que Donald Trump préfère se comparer à Superman suite à sa guérison de la Covid-19, c’est plutôt à Hercule qu’il devra faire face. Et ce sont plus de 12 travaux que le prochain président devra accomplir pour relever l’économie américaine. Régine Perron admet que Trump a « réussi » sur le volet économique. « Il a relevé les salaires, là-dessus, tout le monde est d’accord. Mais on est dans une tendance à la création d’emplois ultra-flexible de courte durée », déplore-t-elle.
Pour la chercheuse, Joe Biden, s’il est élu, devra d’abord « restaurer la confiance au sein des États-Unis […] et résoudre le climat de protestation contre les violences policières à l’égard des Afro-Américains ».
« S’il est élu, Biden devrait revenir dans les accords de Paris »
Régine Perron
Enfin, l’un des axes à suivre dans les prochaines années est l’écologie. Et pour cause, les États-Unis sont le deuxième plus gros pollueur au monde, derrière la Chine. Trump a retiré officiellement, en novembre 2019, le pays des accords de Paris. Biden, lui, souhaite injecter 2 000 milliards de dollars dans le domaine. « S’il est élu, Biden devrait revenir dans les accords de Paris, pense Régine Perron. On arrivera à sauver la planète seulement si on est tous ensemble », conclut-elle. Réponse le 3 novembre.