Stéphane de Sakutin/AFP

L’entrain confiné des étudiants : « On oublie la violence institutionnelle »

Amicie de Lagarde est étudiante, Charles Martin-Krumm est spécialiste en psychologie positive. Les deux s'entendent pour dire que l'état mental des étudiants en France se dégrade durant ce confinement. Pour The Slow Media, ils reviennent dans un entretien croisé sur les raisons de ce mal-être et les solutions pour le rompre.

Amicie de Lagarde est étudiante, Charles Martin-Krumm est spécialiste en psychologie positive. Les deux s’entendent pour dire que l’état mental des étudiants en France se dégrade durant ce confinement. Pour The Slow Media, ils reviennent dans un entretien croisé sur les raisons de ce mal-être et les solutions pour le rompre.

Trop c’est trop. Amicie de Lagarde, 20 ans, est étudiante en troisième année de psychologie. En cette soirée du 24 novembre 2020, devant sa télévision, elle écoute attentivement le discours du président Emmanuel Macron sur le déconfinement progressif de la France. Elle attend, mais rien… Le président n’évoque que succinctement la réouverture des universités en raison de la Covid-19. Celle-ci aurait lieu début février.

Ni une ni deux, elle décide alors de prendre la plume et rédige une lettre ouverte (à lire en fin d’article) à Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et raconte sa détresse quotidienne. Comme beaucoup d’autres étudiants, elle craint les dommages du confinement. C’est également l’avis que partage Charles Martin-Krumm, enseignant-chercheur à l’École des psychologues praticiens (EPP) à Paris et spécialiste en psychologie positive – ou comment mettre en avant les ressources positives d’un individu.

The Slow Media : Quel a été votre ressenti après l’annonce du président Macron, le 24 novembre, de ne pas rouvrir les universités ?

Amicie de Lagarde : Après le discours d’Emmanuel Macron, j’étais entre déception et colère, mais c’était principalement de la colère. Tout ce que j’ai écrit dans la lettre est sorti très vite. J’avais besoin d’écrire parce que ça me fait du bien. Tout ce que j’ai dit sur le mal-être des étudiants est mon ressenti, mais aussi celui que je partage avec mes amis.

Charles Martin-Krumm : L’état des étudiants est très variable. La situation dans laquelle nous sommes requiert de notre part une adaptation permanente. En plus, on a souvent des informations contradictoires, donc c’est compliqué d’avoir la juste idée de ce à quoi on est confronté. Cette perception d’incontrôlabilité, éventuellement accentuée chez des gens, qui tourne toute la journée avec les chaînes infos, et qui se laissent aller. Chez mes étudiants, certains vont bien car ils sont avec leurs parents en province, d’autres en revanche vivent dans 15 m² avec un réseau Internet qui fonctionne très mal et qui ont une sensation d’isolement total.

Charles Martin-Krumm. (DR)

Un état d’esprit morose

Selon un sondage d’Article 1 : 75 % des étudiants des classes populaires se considèrent en détresse psychologique. Une situation qui touche aussi le reste des étudiants à une autre échelle. Amicie de Lagarde, vous écrivez être en « pleure » devant votre ordinateur. Comment décrivez-vous votre état mental ?

Amicie de Lagarde : C’est fluctuant en fonction des jours et des cours. La semaine dernière a été particulièrement difficile, aujourd’hui c’est mieux. Je pense que ça m’a fait du bien d’écrire parce que j’ai vu que j’ai été soutenue, ça fait du bien. Et en même temps c’est triste de voir des gens dans la même situation que soi. Je ressens surtout de la fatigue émotionnelle, pas fatiguée dans le sens d’avoir besoin de dormir mais plus de la lassitude. Je ne vois plus de sens dans mon travail et donc je n’arrive pas à me motiver…

…De là à remettre en question vos études ?

Amicie de Lagarde : Oui, cette année les cours ne m’intéressent pas particulièrement. Mais impossible de savoir si ce sont les cours de troisième année ou si c’est le fait de ne pas être en cours dans un contexte normal. Et pour ceux qui rentrent dans les études supérieures ou qui changent d’école suite à une prépa, c’est difficile pour eux.

« Il faut garder le rythme le plus habituel possible »

Charles Martin-Krumm, spécialiste en psychologie positive

C’est aussi compliqué de s’imposer un rythme de vie. Disons que je me laisse aller dans la manière de m’organiser. On fait des plannings pourtant. D’ordinaire le matin je prends le train, ce qui implique que je me lève à telle heure pour arriver à temps. Ça je ne l’ai plus aujourd’hui.

Dans les amphithéâtres avant le reconfinement, la distanciation sociale était caractérisée par des places condamnées. (Crédit : Romain Boulanger/Maxppp)

Comment faire pour aller mieux ?

Charles Martin-Krumm : Il faut s’appuyer sur des leviers, sur les choses que l’on contrôle. Et il y a énormément de choses que l’on peut faire soit même. Pour cela, il faut garder le rythme le plus habituel possible : se coucher à des heures auxquelles on a l’habitude de se coucher. Se lever, s’habiller, continuer de se raser pour les hommes, de se maquiller pour les femmes, écouter les nouvelles une fois dans la journée.

Il faut aussi conserver des activités « actives » : ne pas trop regarder la télévision, mais lire, jouer de la musique, faire de l’activité physique. Faire du sport est extrêmement intéressant car on active la dopamine – l’hormone du plaisir – et en plus ça a un effet distracteur. On sait que dans les variables qui impactent le bien-être des personnes, il y a entre autre le besoin de proximité sociale. Alors, on doit entretenir le mieux possible ce lien, même si ce n’est qu’à distance. Et aussi avoir cette balance entre les bonnes et les mauvaises choses : on n’a pas un, mais trois vaccins contre le coronavirus qui sont à l’étude par exemple.

Pourquoi avons-nous cet état d’esprit ?

Charles Martin-Krumm : Par rapport aux évènement actuels, quand on est solide, on s’adapte. Mais si on est un peu friable, cela ne fait qu’accentuer les effets. En France, on a un système scolaire qui est redoutable. Je commence à avoir un peu de recul sur nos dernières publications sur le sujet et on voit bien que le système est hyper stressant. L’estime des élèves est démolie. Ce n’est pas de la malveillance pour autant, mais culturellement on pointe plus ce qui ne va pas que ce qui va. Bien souvent, on oublie la violence institutionnelle. Quand j’étais prof dans le secondaire [Il était enseignant d’Éducation physique et sportive (EPS), NDLR], des collègues me chambraient en me disant qu’ils étaient violents avec les élèves…

« D’après nos études, le niveau d’émotions positives décroît et le niveau d’émotions négatives augmente du CM2 jusqu’à la Terminale »

Charles Martin-Krumm, spécialiste en psychologie positive

D’après nos études, on voit clairement que le niveau d’émotions positives décroît et que le niveau d’émotions négatives augmente du CM2 jusqu’à la Terminale, même chose avec l’intérêt pour l’école. Ça fait froid dans le dos ! Des phénomènes de maturation entre en ligne de compte évidemment. Ce n’est pas de la faute de l’école, mais c’est de la responsabilité de l’école de faire acquérir des compétences qui vont permettre de faire face par la suite. Les graines de la souffrance dans la vie adulte sont semées à l’école.

Les solutions d’avenir

Que doit faire le gouvernement selon vous pour arranger les choses ?

Amicie de Lagarde : Mes examens se dérouleront en présentiel et le gouvernement autorise cela. Mais si on nous fait venir pour des partiels, pourquoi nous fait-on pas venir pour des cours ? C’est une véritable incompréhension. Même si je ne veux mettre en danger personne, je ne comprends pas pourquoi les lycées ne sont même pas en semi-présentiel. Nous les étudiants, on a été en semi-présentiel. D’après ce que j’ai vu c’est un peu compliqué à mettre en place, mais ça s’est fait et c’était bien fait.

En France, on compte 1 psychologue pour 29 882 étudiants, selon une étude de Nigthline. Pourquoi un tel fossé ?

Charles Martin-Krumm : Dans notre culture, celui qui va voir un psy, c’est qu’il est fou… C’est une représentation sociale qui ne disparaîtra pas facilement. Mais par exemple, le centre Pierre-Janet à Metz (Moselle), est une clinique étudiante. Ce genre d’initiative va dans l’intérêt des étudiants et de la population. On essaye d’ailleurs de le faire à l’EPP.

En France, on compte un psychologue pour 29 882 étudiants. Bien loin des États-Unis qui en dénombrent un pour 1 588 étudiants. (Source : Nightline)

Plus généralement, […] de la qualité de vie des élèves, dépend de la qualité de vie des profs. C’est un serpent qui se mord la queue. La principale modification qu’il faudrait effectuer se trouve dans la formation des profs. Aujourd’hui, la formation est essentiellement culturaliste. Il n’y a qu’en EPS qu’on a des cours de psycho dès la première année. Dès lors que les profs sauront prendre soin d’eux en faisant de la méditation ou en faisant un travail sur la régulation émotionnelle, en retour, ils pourront prendre soin des élèves.

Pour un remboursement d’une séance chez un psy

« Les acteurs de l’avenir de la France », c’est de cette manière que vous qualifiez, Amicie de Lagarde, les étudiants dans votre lettre. Vous dites aussi qu’ils sont des « oubliés ». Pourtant le gouvernement s’apprête à verser 150 € aux étudiants boursiers début décembre ; les Restaurants universitaires restent ouverts et font des plats à emporter. Ce n’est pas suffisant ? Devrait-on aller vers le remboursement des séances chez un psychologue ?

Amicie de Lagarde : C’est très bien de verser 150 € aux boursiers. Mais ce ne sont pas avec 150 € que les dommages psychologiques seront pansés. Une amie à La Rochelle m’a dit que les universités faisaient un partenariat avec Les Restos du cœur car les étudiants meurent de faim. Mais une séance chez un psychologue n’est pas remboursée par la Sécurité sociale, donc c’est d’autant plus compliqué pour les étudiants. Il existe des centres médicaux psychologiques qui sont remboursés, mais les listes d’attente sont énormes. Comme pour plusieurs professions du paramédical, je pense que cela devrait être remboursé. C’est très controversé dans le milieu !

Charles Martin-Krumm : Évidemment que je suis pour le remboursement. Aujourd’hui, ça dépend des mutuelles et dans quelle ville on consulte, mais ça pose des problèmes. Il faut savoir quel type de professionnel a le droit à un remboursement. Là on parle du métier de psychothérapeute, pas des coachs de vie ou d’une personne qui a juste un diplôme universitaire. Faut entrer dans le cadre de la loi.