Je sais qu’ici, il n’y a pas de ZAD, il n’y a que la République.
Cette phrase déclenche quelques contestations dans les rangs des sénateurs de gauche et réveille l’hémicycle. “Il vient de s’offrir l’ouverture du JT”, lâche l’un des spectateurs, assistant à la scène des balcons. Devant l’hémicycle parsemé, à l’occasion de l’ouverture des débats sur la réforme des retraites au Sénat ce mercredi, Gabriel Attal n’a pas hésité à cibler le comportement des députés lors de l’étude de ce texte à l’Assemblée nationale. Alors que le ministre des comptes publics a appelé à “discuter de manière apaisée et sereine”, les sénateurs, de gauche et de droite, semblent également s’être accordés sur l’idée de ne pas réitérer ce spectacle.
Si les invectives et les provocations étaient devenues habituelles au cours des vingt jours de débats dans le palais Bourbon, seules quelques protestations ont ponctué les discours des ministres macronistes au Sénat. Lors de la réponse du ministre du travail Olivier Dussopt à la motion de rejet du texte déposé par le groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste (CRCE), seul un “Revoyez vos mots croisés” s’est fait entendre, bien loin des insultes et des attaques personnelles entendues à l’Assemblée nationale. “Au Sénat, ça peut ferrailler un peu sur certains textes mais ça le fait sans injure et sans le côté un peu guignol comme à l’Assemblée nationale”, prévoit Catherine Deroche, sénatrice Les Républicains (LR) de Maine-et-Loire et présidente de la commission des affaires sociales. “Vous verrez des débats et des prises de paroles fortes, mais jamais des insultes, des dérapages et des menaces.”, ajoute Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. Dans l’hémicycle, l’écologiste Guillaume Gontard insiste : “On n’est pas là pour faire le match retour”.
Le jeu des amendements
Si les parlementaires espèrent des débats bien plus apaisés, les sénateurs de la droite et de Renaissance ont tout de même accusé la gauche d’obstruer les discussions, comme la Nupes a pu le faire au palais Bourbon. “L’opposition a le droit de s’exprimer, elle a le droit de manifester, de déposer des amendements, estime François Patriat, sénateur Renaissance. Mais à un moment, on voit bien que la multiplication d’amendements redondants témoigne plus d’une volonté d’obstruction qu’une volonté d’aboutir.” Au total, 4 733 amendements ont été déposés, contre 20 000 à l’Assemblée nationale.
“L’accumulation d’amendements pose problème au niveau du temps de débat, c’est là qu’il y a une forme d’obstruction, estime Catherine Deroche. Multiplier le même amendement sur un alinéa différent pour occuper du temps et empêcher le vote, je trouve ça moyen. Après ils ont le droit de le faire”. Face à cette stratégie, la droite et les sénateurs du parti présidentiel restent courtois, sans pour autant cacher leur mécontentement. Une manière de conserver entre eux cette sérénité tant recherchée pendant les débats dans la chambre basse. Preuve de cette diplomatie retrouvée, un accord oral a été conclu entre la gauche et la droite: si la droite accepte que l’article 7, qui concerne le report de l’âge légal de départ à la retraite, soit étudié après la manifestation du 7 mars, la gauche s’engage à ce que tous les articles soient étudiés, ce qui n’avait pas été le cas à l’Assemblée nationale.
La menace de l’article 38
De son côté, la gauche sénatoriale oeuvre à prendre ses distances avec les comportements de son groupe politique à l’Assemblée nationale. Le président des socialistes au Sénat souligne d’ailleurs l’absence de sénateurs des extrêmes, et notamment insoumis, comme un moyen d’apaiser les débats. “Il n’y a ni insoumis ni RN au Sénat. Ça va permettre à la gauche classique, les verts, le parti communiste et les socialistes, de se retrouver ensemble contre une droite classique.” Un avis auquel se joint Catherine Deroche. “Les sénateurs, même s’ils sont dans la Nupes comme les communistes, les socialistes et les écologistes, n’ont pas la même personnalité que les insoumis.”
Si la gauche sénatoriale ne compte pas non plus faciliter les débats en multipliant les amendements, elle rejette les accusations d’obstruction. “Non il n’y a pas d’obstruction, nous n’avons pas déposé d’amendements pour modifier les virgules et les points. On est dans une logique de défendre nos positions”, justifie Patrick Kanner, pour qui le dépôt d’amendement permet également de gagner du temps de débat supplémentaire, au cas où la droite accélérerait la procédure en actionnant l’article 38 du règlement du Sénat. Cet article permet d’abroger l’amendement, voire le texte entier, à partir du moment où deux orateurs d’avis contraire ont défendu leur point de vue dans l’hémicycle. Un vote à main levée permet finalement de clore ou non les débats. Dans l’hémicycle, derrière ses grandes lunettes rouges, Eliane Assassi, présidente des sénateurs communistes, n’hésite pas à parler de “coup d’État feutré” dans le cas où cet article 38 serait brandi.
Pour la sénatrice communiste, dont le groupe a déposé environ 800 amendements, cette stratégie permet surtout de contrôler le rythme des débats. Alors que les communistes souhaitent voter l’article 7, ils ne veulent en revanche pas que le vote du texte aboutisse. Face aux accusations d’obstruction, Éliane Assassi rejette la faute sur celle du gouvernement. “Il a restreint le temps de débat en passant ce projet par un rectificatif du budget de la sécurité sociale. C’est lui le principal responsable de la situation. Évidemment que je rejette les noms d’oiseaux et les insultes à l’Assemblée nationale mais le comportement du gouvernement est inadmissible”. Durant les quinze prochains jours, si les débats devraient être cordiaux, ils seront visiblement tout de même mouvementés.