Le procès des « attentats de janvier 2015 » qui se déroule actuellement en France, met aussi la liberté d’expression sur le banc des accusés. Et pour cause, depuis cinq ans, les dessins et les caricatures s’effacent peu à peu des journaux.
Comme si le stylo n’avait plus d’encre. Depuis les attentats contre la rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, en janvier 2015, les dessins et les caricatures de presse, en France et à l’international, n’agrippent plus le papier. À en croire que la liberté d’expression est l’une des accusées du procès qui se tient actuellement à Paris.
En effet, les coups de crayons ne font plus fureurs dans les journaux. Par exemple, The New York Times a décidé de ne plus publier cette forme d’expression dans ses colonnes, depuis le 1er juillet 2019. Pour Patrick Chappatte, l’un des dessinateurs du journal américain : « Si les dessins de presse sont une cible de choix c’est en raison de leur nature et de leur visibilité : ils condensent une opinion, ce sont des raccourcis visuels qui ont une capacité sans pareil à frapper les esprits. C’est leur force, et leur faiblesse ».
« Souvent, la véritable cible, derrière la caricature, c’est le média qui l’a publiée »
Patrick Chappatte, dessinateur de presse, dans Le Temps
« Mais je crois que les dessins sont surtout un révélateur. Souvent, la véritable cible, derrière la caricature, c’est le média qui l’a publiée », estimait Patrick Chappatte, le 11 juin 2019, dans le quotidien suisse Le Temps.
En France aussi, les dessins sont en perte de vitesse. L’hebdomadaire L’Express, l’un des seuls médias à avoir publier des dessins avec Charlie Hebdo, a lui aussi estampé la couleur de l’encre. Alors que le dessinateur Plantu apportait, chaque semaine, son regard sur l’actualité, la nouvelle maquette de L’Express, dévoilée en début d’année, a fait disparaître le dessin. Celui-ci a été remplacé par des infographies. Une autre forme visuelle, plus factuelle et sans opinion.
L’Express, un fort soutien en 2006
Pourtant, l’hebdomadaire, en 2006, est l’un des seuls en France à avoir publier les caricatures de Mahomet, parues dans le quotidien danois Jyllands-Posten (voir ci-dessous). Denis Jeambar, alors directeur de la rédaction de L’Express, revient sur cet épisode dans un article du 3 septembre dernier. « Elle fut prise [la décision de publier, NDLR] en sachant bien qu’elle susciterait des débats. La parution de ces dessins quatre mois plus tôt avait soulevé une tempête dans le monde musulman. Et laissé la presse occidentale presque sans voix. Sans doute par crainte d’être accusée d’islamophobie […]. »
Et d’ajouter : « Informé de mes choix, Serge Dassault, alors propriétaire de L’Express, me demande de stopper la fabrication du journal. Je lui réponds que je n’en ferai rien, qu’il lui revient d’appeler l’imprimeur et, bien entendu, que je démissionnerai s’il bloque la publication. L’affaire s’arrête net », poursuit Denis Jeambar.
Le Monde, Le Canard enchaîné… toujours imagés
Malgré les tensions de publication, certains médias ont décidé de poursuivre les parutions de dessins et caricatures de presse. Le Monde, met ainsi en avant, chaque jour, un dessin de Plantu à sa Une. De même, Le Canard enchaîné publie des caricatures pour illustrer ses articles. D’autres quotidiens de la presse régionale publient des dessins, comme Le Courrier picard.
Il n’en demeure pas moins que les menaces, aujourd’hui encore, continuent à l’égard de Charlie Hebdo. Alors que le procès pour les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 – contre la rédaction de Charlie Hebdo, à Montrouge et à l’Hyper Cacher ; tuant 17 personnes – s’est ouvert au début du mois de septembre, l’hebdomadaire a décidé de remettre à sa Une du 2 septembre, les caricatures mises en cause par les terroristes (voir ci-dessous).
Un acte symbolique donc qui a aussi soulevé de nouvelles contestations de la part du groupe islamique Al-Qaïda. L’attaque contre Charlie Hebdo « n’était pas un incident ponctuel », avertit l’organisation djihadiste. Elle évoque même le sort « héroïque » des frères Saïd et Chérif Kouachi, à l’origine des drames. Dans sa publication, parue le 11 septembre dernier, date anniversaire des attentats du 11-Septembre 2001, Al-Qaïda menace : « Si votre liberté d’expression ne respecte aucune limite, préparez-vous à vous confronter à la liberté de nos actions ».
Pour l’heure, quatorze accusés sont soupçonnés de soutien logistique envers les frères Kouachi et Amédy Coulibaly, les auteurs des tueries. La fin du procès est attendue pour le mois de novembre prochain. Et il fera couler encore beaucoup d’encre.