Une femme porte ses affaires après que le camp de la Moria en Grèce ait été détruit par un incendie

Lorsque la politique migratoire européenne prend feu

A Lesbos en Grèce, un incendie a dévasté le camp de Moria, privant plus de 12 000 migrants de leur logement. Outre la catastrophe humanitaire que cet incendie provoque, il met en exergue la politique migratoire défaillante de l'Union Européenne et sa difficulté à respecter les valeurs humanistes qu'elle revendique.

A Lesbos en Grèce, un incendie a dĂ©vastĂ© le camp de Moria, privant plus de 12 000 migrants de leur logement. Outre la catastrophe humanitaire que cet incendie provoque, il met en exergue la politique migratoire dĂ©faillante de l’Union EuropĂ©enne et sa difficultĂ© Ă  respecter les valeurs humanistes qu’elle revendique.

Ils Ă©taient plus de 12 000 Ă  habiter le camp de Moria. Ils Ă©taient plus de 12 000 Ă  attendre une rĂ©ponse positive Ă  leur demande d’asile, Ă  attendre qu’un pays de l’Union EuropĂ©enne les accueillent. Mardi et mercredi, deux incendies consĂ©cutifs ont dĂ©vastĂ© le camp de Moria, installĂ© sur l’Ă®le de Lesbos en Grèce. Construit en 2013 sur une ancienne base militaire, il est rapidement devenu le plus grand camp de migrants d’Europe, logeant quatre fois plus de personnes que sa capacitĂ© ne le permet. Face Ă  sa destruction, dix pays europĂ©ens, sous l’impulsion du couple franco-allemand, ont dĂ©cidĂ© de prendre en charge 400 enfants et adolescents. L’Allemagne et la France devrait accueillir entre 100 et 150 mineurs chacun.

D’un lieu de transition Ă  un sĂ©jour interminable

Face aux flux de migrants fuyant les conflits au Moyen-Orient et en Afrique depuis le dĂ©but des annĂ©es 2010, l’Union EuropĂ©enne a mis en place un système de hotspots sur les principaux lieux d’accueil, comme Ă  Lesbos en Grèce. Initialement, s’ils n’Ă©taient qu’un lieu de transition pour rĂ©cupĂ©rer les empreintes des demandeurs d’asile, leur fonctionnement a Ă©tĂ© bouleversĂ© par l’accord signĂ© entre la Turquie et l’Union EuropĂ©enne en 2016. Avec cet accord, la Turquie s’engage Ă  ne plus laisser passer les migrants vers l’Europe, en l’Ă©change d’une aide de 6 milliards d’euros de l’UE.

S’il ne règle en aucun cas la situation des demandeurs d’asile fuyant leur pays pour rester en vie, cet accord a transformĂ© les hotspots et le camp de Moria en un centre de rĂ©tention, oĂą les migrants venus de Syrie, d’Afghanistan ou encore du Nigeria peuvent rester plusieurs mois. En attendant que leur demande d’asile soit traitĂ©e, pour ensuite ĂŞtre accueillis dans un pays europĂ©ens, ils vivent dans la peur d’ĂŞtre renvoyĂ©s en Turquie.

Selon la doctorante en gĂ©ographie Laurence Pillant, auteure de la thèse « les territoires du contrĂ´le migratoire en Grèce », la rĂ©tention est devenue l’une des seules rĂ©ponses pour dissuader les arrivĂ©s : « Au nom de l’augmentation des flux, sous la pression des populations locales avoisinant les lieux, de la prĂ©sence ou non de soutiens aux migrants, et des changements de lĂ©gislation, l’enfermement devient progressivement la principale rĂ©ponse aux franchissements irrĂ©guliers des frontières. » Ă©crit-elle dans son article « En Grèce, une crise migratoire chronique » publiĂ© en 2016. Cette rĂ©tention, associĂ©e Ă  l’arrivĂ©e quotidienne de centaines de nouveaux migrants, transforme ce centre d’enregistrement en une vĂ©ritable prison surpeuplĂ©e. Les rĂ©centes mesures de confinement en lien avec la crise sanitaire n’ont rien arrangĂ©.

Des conditions d’accueil dĂ©plorables

A la suite de cet incendie, des manifestations ont Ă©clatĂ© Ă  Lesbos, provoquant des heurts avec les forces de l’ordre. ForcĂ©s Ă  dormir dans la rue Ă  la suite de la destruction du camp, des centaines de rĂ©fugiĂ©s ont dĂ©noncĂ© les conditions de vie, certains refusant mĂŞme sa reconstruction, tout comme Stratis Kytelis, maire de la ville de Mytilene, situĂ©e sur l’Ă®le : « L’idĂ©e de reconstruire ce genre de choses doit ĂŞtre oubliĂ©e ».

Ce n’est pas la première fois que les conditions de vie Ă  Lesbos sont mises en cause. En 2018, le Conseil de Genève des droits de l’Homme et de la Justice publiait dĂ©jĂ  un rapport dans lequel il pointait du doigt les conditions sanitaires dĂ©plorables, mais Ă©galement le mauvais traitement des demandes d’asile : « Le camp de la Moria a Ă©tĂ© ouvert en 2015 dans le but d’en faire un lieu de transit pour les gens, pour de courtes pĂ©riodes de quelques jours seulement, mais certains arrivĂ©s au camp il y a dĂ©jĂ  plusieurs annĂ©es n’en sont pas encore partis ». A cela s’ajoute une alimentation insuffisante et de mauvaise qualitĂ©, mais Ă©galement Ă  une violence omniprĂ©sente. Cette violence touche principalement les femmes et les filles, dont la sĂ©curitĂ© n’est pas garantie. Selon l’ONG Human Right Watch, l’absence de fermeture sĂ©curisĂ© dans leur tente mais Ă©galement dans les sanitaires les rendent vulnĂ©rables aux violences sexistes et aux agressions sexuelles.

PrĂ©sent sur place pour apporter une aide mĂ©dicale Ă  Moria, MĂ©decins Sans Frontières condamne sur les conditions sanitaires et accusent les autoritĂ©s grecs et europĂ©ennes d’inaction. En 2018, MSF alertait dĂ©jĂ  sur l’augmentation du nombre de suicides et d’automutilations chez les enfants, qui reprĂ©sentent un tiers de la population du camp. Selon l’ONG, entre fĂ©vrier et juin 2018, un quart des enfants du camp s’Ă©taient mutilĂ©s, avaient tentĂ© de se suicider ou Ă©noncĂ© la volontĂ© de mourir, sans parler des troubles psychiatriques et psychologiques sĂ©vères dont ils peuvent ĂŞtre victimes.

Les enfants sont les premières victimes des mauvaises conditions de vie au camp de Moria(ALKIS KONSTANTINIDIS/REUTERS)

« Lesbos est le symbole du plus grand fiasco moral et politique de l’Europe » dĂ©clarait Jean Ziegler, vice-prĂ©sident du ComitĂ© Consultatif du Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies, dans un entretien accordĂ© Ă  LibĂ©ration en mars dernier. Lesbos est devenu le symbole d’une politique migratoire europĂ©enne inefficace, basĂ©e sur la rĂ©action plus que sur l’anticipation et l’organisation.