Après les annonces gouvernementales sur la loi en préparation dans la lutte contre le viol et l’inceste, le renforcement de l’éducation à la sexualité ne serait pas à l’ordre du jour. Il s’agit pourtant d’une priorité selon les victimes d’agressions sexuelles. Parmi elles, Lucile* estime que dans son cas, un dispositif à l’école aurait pu changer le cours des évènements.
« La société nous conduit à changer le droit. » Sur ce constat, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux et ministre de la Justice, s’est exprimé mardi 9 février 2021 sur France 2, afin d’établir une législation renforcée autour du viol et de l’inceste. Ce sont sur ces mots que Lucile, 20 ans, décide de s’exprimer. Alors que la parole des personnes ayant subi ces crimes se libère, notamment sur les réseaux sociaux, cette victime d’une agression sexuelle, en attend plus. Selon elle, c’est d’abord à l’école qu’il faut sensibiliser.
Si Lucile témoigne publiquement pour la première fois, c’est pour aider à lever le tabou qui règne. Elle a tout de même souhaité conserver son anonymat pour ne pas créer de nouvelles étincelles au sein de sa famille. En effet, l’omerta que la jeune femme souhaite faire disparaître est particulièrement ancrée dans son entourage. Encore aujourd’hui, tous les membres de sa famille ne connaissent pas la vérité.
Trop jeune pour comprendre
Lucile et William* sont cousins et tous les deux mineurs au moment des faits – lui d’un an son aîné. Comme à chaque période de vacances scolaires, elle se rendait chez ses grands-parents en compagnie de ses cousins. Par manque de place, elle dormait dans la même pièce que William et son frère, tandis que les autres se trouvaient dans une chambre voisine. « Ça ne me dérangeait pas que l’on soit tous ensemble. C’était même sympa de se retrouver », confie la jeune femme, alors âgée de 8 à 9 ans, à The Slow Media. « Je ne me souviens plus bien à quelle période se sont déroulés les faits. J’ai des flashs, mais des choses sont sorties de ma tête… », peste-t-elle contre elle-même.
Bien que des scènes se soient effacées de sa mémoire, l’essentiel est toujours bien présent. « La journée, tout se passait bien, on jouait. Malheureusement, j’esquissais les moqueries de mon cousin, se désole-t-elle. Par exemple, il me mettait dans les buts quand on jouait au foot, et il me balançait le ballon dans le visage. Ça paraît rien, mais c’est une manipulation psychologique. La journée, il était très désagréable et le soir, il revenait gentiment et il avait tout ce qu’il voulait… »
« En cours de SVT, on a commencé à parler de la sexualité et je me suis rendue compte que tous les cousins ne faisaient pas cela entre eux »
Lucile*, victime d’un viol
La nuit, alors que le frère de Lucile dormait, un « jeu » s’instaure entre les deux membres de la famille. « On faisait un « Action ou vérité ». Mais rapidement les questions dérivaient sur la sexualité. Je répondais toujours non à ses questions, mais au bout de 40 fois, j’avais juste envie que ça s’arrête. Alors… j’ai dit oui pour me débarrasser de lui ». Ce consentement forcé s’est d’abord traduit par le fait d’observer la jeune fille nue. Puis, les questions ont cessé et les actes se sont poursuivis et amplifiés. « Une fois, il a passé sa main sous la couette pour…, avance Lucile sans réussir à finir sa phrase. Il voulait des fellations, des pénétrations… »
Manipulée par manque de connaissances
Les viols répétés de Lucile ont duré jusqu’à ses 12 ans. Ce n’est qu’en classe de quatrième qu’elle a posé un mot sur son agression. « En cours de SVT [Sciences de la vie et de la terre, NDLR], on a commencé à parler de la sexualité et je me suis rendue compte que tous les cousins ne faisaient pas cela entre eux. Puis, au collège, une intervenante a évoqué le sujet du viol. Je lui ai alors tout racontée et le collège à porter plainte car nous étions dans le même établissement. » Quelques années plus tard, un procès s’est tenu. William a écopé de travaux d’intérêt général et a dû payer des dommages et intérêts. Aujourd’hui, les grands-parents de Lucile, là où se sont commis les faits, ne sont toujours pas au courant des viols subis par leur petite-fille. « Mes parents ont promis de ne jamais en parler », dénonce Lucile qui pressent que le tabou ne durera pas indéfiniment.
« À l’école primaire, les temps consacrés à l’éducation à la sexualité incombent au professeur des écoles »
Ministère de l’Éducation nationale
« L’éducation à la sexualité est fondamentale. C’est le rôle de l’école et des parents d’expliquer ce que c’est et comment ça fonctionne », clame Lucile. Pourtant, ces cours ne sont dispensés de manière obligatoire qu’en classe de quatrième. « À l’école primaire, les temps consacrés à l’éducation à la sexualité incombent au professeur des écoles », est-il indiqué sur le site Internet du ministère de l’Éducation nationale. Autrement dit, chaque enseignent choisit ou non de traiter le sujet. Au collège et au lycée en revanche, « au moins trois séances annuelles d’éducation à la sexualité sont mises en place ».
D’autres défenseurs de la cause appuient le regard de Lucile sur l’éducation. La députée (LFI) Clémentine Autain, victime d’un viol, va même plus loin. Sur RTL, jeudi 11 février 2021, elle souhaite que la lutte contre le viol et l’inceste change le regard de la société car « c’est une question d’éducation, de culture. Souvent, on pense que s’il n’y a pas ce rapport de domination alors il n’y a plus de séduction. C’est faux. On peut tout à fait imaginer, même si c’est utopique, des relations à égalité. »
Pas de consentement avant 15 ans
En attendant, c’est dans la loi que se traduira la reconnaissance d’une agression sexuelle. Éric Dupond-Moretti prévoit notamment qu’un mineur de moins de 15 ans sera automatiquement considéré comme non consentent à un acte sexuel.
Pour Lucile, que ce soit 13 ans – comme voulu par le Sénat -, ou 15 ans – comme déjà proposée par la ministre Marlène Schiappa il y a trois ans -, « le plus important est de savoir ce qu’on fait. Quand on ne se rend pas compte de ce que fait l’autre, on ne voit pas la gravité. Pour ma part, j’ai dit oui à William suite à son insistance, mais je n’en pensais pas moins. Pourtant j’ai dit oui et j’ai encore du mal à l’accepter… », conclut-elle.
* Les prénoms ont été modifiés.